Les journalistes du blog ZEP nous ont rendu visite et ont animé un atelier d’écriture pour inciter les jeunes du chantier d’insertion à partager un peu de leur vie, de leurs colères, de leur fierté… Nous publions certains de leurs textes.

Pourquoi je suis un fraudeur de la RATP

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Je suis fraudeur. Non pas par défaut mais plutôt par choix.

Il fut un temps où je payais un abonnement imagine R mais depuis que je me suis rendu compte qu’il y avait plus d’avantages à ne pas payer, je me suis mis à frauder.

Prenons par exemple ce jour où j’étais encore étudiant et que je devais me rendre au lycée pour un examen. A l’époque j’étais encore « en règle ». Je passais, ce jour là, mon baccalauréat blanc. Mon épreuve était à 8h00 dans le lycée de Stains.

Résidant à Montreuil, le trajet me prend habituellement 1h30 mais par mesure de sécurité, je suis sorti de chez moi à 6h15. Seulement voilà, je ne me doutais pas de la journée qui m’attendait.

Le bus 102 que je prends quotidiennement ne commence son service qu’à 6h30. Le 121, lui, commence plus tôt. Seulement, j’étais à 15 minutes de cet arrêt. Je préférais donc attendre le 102, plus proche de mon domicile.

A mon entrée dans le bus, je vois deux places : hors de question de m’asseoir, ce serait inutile étant donné que je devrais céder ma place à une personne âgée ou une femme enceinte deux arrêts plus tard comme cela est souvent le cas. Serré dans ce bus qui peine à repartir après s’être arrêté, des forcenés tentent de rentrer par la porte arrière. Certains en vain, la capacité d’accueil du véhicule étant arrivée à saturation, d’autres ont plus de chance.

Nous repartons finalement 3 minutes plus tard. Toujours plus coincé entre une aisselle et le visage de ce papa roumain. Je prie pour qu’il se soit brossé les dents. L’arrivée à la mairie de Montreuil signe la fin de mon calvaire.

Il est maintenant 7h00 lorsque je monte dans le métro ligne 9. Arrivé à Nation, j’ai encore le droit à un mégalo qui chante pour obtenir quelques jetons.

7h40 : Descente à Miromesnil, première correspondance, escalator en panne, j’emprunte les escaliers, pas vraiment un problème comparé au métro qui vient de me passer sous le nez. Ce dernier finit son parcours à Asnières Gennevilliers. Cette ligne desservant deux directions, je viens de prolonger mon parcours de 12 minutes. Je dois attendre.

7h45 : Une fois dans le métro 13, toujours pas assis, je pense avoir vécu le pire. Mais à la station Guy Môquet, le conducteur prend la parole en nous annonçant que le trafic vient d’être ralenti sur l’ensemble de la ligne 13.

Après de multiples arrêts successifs, nous arrivons à la Mairie de St Ouen. Le conducteur prend alors de nouveau la parole. Le métro est en arrêt pour une durée indéterminée. La pression monte à chaque seconde. La cohue des usagers m’agace mais heureusement pour moi, je retrouve deux professeurs de mon lycée qui se plaignent, eux aussi, du service déplorable de la RATP.

Le métro repart au bout de 10 minutes qui paraissent être une éternité.

8h38 : Enfin arrivé à St Denis Université. Là, à ma grande surprise, un comité d’accueil vient à la rencontre des passagers, non pas pour distribuer des justificatifs ou même faire de simples excuses suite aux services déplorables auxquels nous avons eu droit. Non ils sont là pour contrôler nos titres de transport. Croyez-moi ! Je ne me suis jamais senti aussi scandalisé.

Bref, 8h45 : Pas de temps à perdre, j’ai une épreuve à passer. Je marcher jusqu’au lycée, à 10 minutes.

Tout ça pour vous dire que l’on est vraiment pris pour des cons à payer pour un service qui n’en vaut pas vraiment le prix. 90 euros par mois pour ma part, autant frauder! Ça m’évitera ce sentiment d’injustice !

Je vous invite à faire le calcul. Le citoyen qui paie son abonnement dépense 90€ en moyenne par mois.

Le fraudeur subit généralement deux contrôles par mois. L’amende est de 40€ si elle est réglée dans la semaine qui suit le jour de l’amende. Ce qui revient toujours moins cher que de prendre un abonnement qui n’assure aucune qualité de service.

A quoi cela sert de leur donner plus d’argent s’ils ne font pas les améliorations nécessaires. Ne vous y trompez pas ceci n’est pas un appel à la fraude, plus un appel au changement.

Logan E., 22 ans, salarié en insertion, Montreuil

A Aulnay mon quartier m’apprend à aimer la différence

Je m’appelle John. Du haut de mes 26 ans, vous pouvez me considérer comme un homme ordinaire, un homme comme tous les autres.

Depuis quelques années, j’habite à Aulnay-sous-Bois, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Une ville dont les médias ont une fâcheuse tendance à faire la mauvaise publicité, quand ils ne la réduisent pas à néant. Ils la cataloguent vite, mais ils oublient que des personnes intègres y vivent aussi.

Aller…

Aujourd’hui, je vais me mettre à la place d’un de ces journalistes et vous faire un zoom sur mon quartier.

À Aulnay-Sous-Bois, la vie commence à 5h du matin ; les bruits des bus et les klaxons des camions-poubelles donnent le ton de la journée ! En faisant un zoom pour obtenir un plan rapproché de mon bâtiment, nous pouvons voir trois familles différentes, dont la mienne. Mon voisin de palier se nomme Jordan, il est gitan et est marié à une Serbe. Juste en dessous, il y a une famille d’origine maghrébine. J’ai toujours été ému par ce mélange culturel qui enrichit mon quotidien.

7h, départ de mon voisin pour le travail, la mauvaise sonorisation des lieux a aussi ses avantages… Les pas de Jordan dans les escaliers me servent de réveil.

8h, je sors de chez moi pour me rendre au travail sur Paris. J’emprunte le RER B, réputé pour malmener ses voyageurs au quotidien, mais les Aulnaysiens sont finalement habitués. Sans nous en rendre compte, nous côtoyons dans les transports des personnalités, des cultures variées… La diversité. Fatigués, têtes baissées, préoccupés par nos propres vies, ou en pleine lecture du premier journal gratuit, nous nous rendons… là où nous devons nous rendre.

… retour

18h, je sors de la Gare d’Aulnay-Sous-Bois, après une journée de travail mouvementée, mais enrichissante, je me presse de retrouver mon confort.

Je monte les premières marches, et je sens les odeurs du couscous de mes voisins, en une seconde, je m’évade et je voyage. Arrivé devant ma porte, j’entends mon voisin jouer de la guitare, et un mélange de chants gitans et bretons. Que demander de plus ?

Certaines personnes préfèreraient sans doute se poser dans un silence morbide et éviter les odeurs de nourriture, mais moi j’aime cette richesse, j’aime mon quartier.

J’aime les valeurs qu’il me transmet, indirectement, tous les jours : le respect, la mixité et par-dessous tout, la tolérance. Ces trois valeurs m’ont appris à apprécier la différence.

John, 26 ans, salarié en insertion, Aulnay-sous-Bois

De Colombey-les-Belles à Paris

maudissime banlieues creatives

Colombey-les-Belles, 1000 habitants, un collège, une primaire, une maternelle, une boulangerie, un silo à grains, 80% de votes FN et une famille musulmane… 13 ans de « sale bougnoule », « retourne dans ton pays », « bico » sans oublier les blagues nulles : « ça fait quoi un arabe à côté des poubelles ? »

Une fois, je ne sais plus trop pourquoi, je faisais du vélo et un grand m’a insulté, pris mon vélo et l’a jeté dans un arbre. Incompréhension totale. En même temps je n’étais pas en âge de comprendre.

Bizarrement, une fois que j’ai grandi et que je pesais 100 kg, tout est allé mieux ou presque car mon parcours scolaire était affreux. Mais je pense que c’est un peu de la faute de madame Quartier, ma professeur de CM2 qui me laissait galérer comme pas possible au fond de la classe. Une fois elle a été en arrêt. sa remplaçante s’appelait Nadia, elle était marocaine. Je n’arrivais pas à le croire mais j’ai jamais autant kiffé aller à l’école. Mais bon quand ma prof est revenue au moment de passer au collège, elle a suggéré d’aller en SEGPA dans un quartier difficile à 15 km de chez moi, un collège rempli de gitans, de rebeux, de turcs et de renois, un autre monde.

Tous ces Arabes dans la même classe ça crée forcement des liens

Autant dire que j’ai pas supporté le choc des cultures. Après ma 5éme on m’a envoyé dans un EREA (établissement régional d’enseignement adapté), un internat à 120 km de chez moi. Je suis arrivé en même temps que mes futurs meilleurs amis ; tous ces Arabes dans la même classe ça crée forcement des liens même avec le Kurde, l’Arménien et le Turc…

Alors là trois choix de carrières s’offraient à moi : maçonnerie, métallerie et peinture. Autant vous dire que les trois m’intéressaient autant que l’élevage d’escargot intensif en Bretagne.

Bref j’ai eu mon CAP maçonnerie (j’ai choisi la maçonnerie parce que mon père m’a dit : « Tu seras maçon! »). Pas étonnant le niveau des cours était le même que durant mon CM2.

Après un mois de glande j’ai reçu un appel de Madame l’inspectrice académique en personne pour me proposer d’intégrer un bac pro « technicien économiste de la construction ». Je ne pouvais pas refuser, ça avait l’air trop classe.

Mais au bout d’un mois de cours, j’ai tout de suite compris que mon niveau était trop bas par rapport à l’EREA. Alors j’ai lâché l’affaire et j’ai commencé à avoir des baskets trouées sans personne pour pouvoir m’en payer des nouvelles, mes parents aussi commençaient à avoir des baskets trouées et la maison aussi.

C’est là que j’ai commencé tous les petits trucs de la Mission locale (validation de projet, pré-qualification), à peine 300 € par mois. Je me suis fait virer de deux établissements, du coup, j’ai été grillé dans toute la région. Pendant deux ans aucune formation ni quoi que ce soit pour moi, et un jour j’ai réussi à rentrer dans un centre EPIDE (établissement public d’insertion à la défense). Tout se passait bien jusqu’à ce qu’on nous force à faire un stage dans un domaine qui nous plaisait pas, la maçonnerie pour moi, j’ai eu quelques différends avec un employé et je me suis fait virer du stage et aussi du centre EPIDE et très bizarrement ça m’a fait sourire ; j’étais heureux, aucun regret.

Comme un enfant qui découvre la maison du Père Noël

J’avais jamais été aussi motivé, impossible d’enlever ce sourire étrange de mon visage durant le trajet en train. Une fois chez moi le jour suivant je me suis rappelé d’un reportage sur Tremplin Numérique. Il m’avait grave touché. J’ai trouvé ça super d’offrir aux jeunes la possibilité de s’insérer par des moyens habituellement réservés aux élites. Alors j’ai appelé en me disant « on ne sait jamais ». On m’a demandé un CV et une lettre de motivation, écrite avec le cœur, pas un modèle de la Mission locale !

Au bout de deux mois d‘attente j’ai annoncé à ma famille que je partais vivre à Paris. Ils y croyaient pas. A mon arrivée sur Paris j’ai pris un taxi pour mon CLJT, juste à côté de mon futur bureau, c’est un foyer pour me loger que ma future patronne m’avait gentiment trouvé. Dans le taxi qui m’y a amené j’avais l’impression d’être un enfant qui découvre la maison du Père Noël. J’étais aussi choqué de la façon de conduire des gens et de la mixité absolue, des Japonais, des Indiens, des Arabes, des Anglais, des Allemands, des Cubains, des Chiliens, des Africains, des Juifs, des Chrétiens, des Musulmans qui se côtoyaient partout.

Mais aussi des SDF, beaucoup de SDF. J’en n’avais jamais vu autant. Je n’avais jamais vu des familles entières dormir dehors.

Walid F., 21 ans, salarié en contrat d’insertion, de Colombey-les-Belles à Paris

Source : http://blogzep.fr/identites/comment-je-suis-monte-a-paris/

Je suis sans diplôme… et alors ?

Après une scolarité normale, des bulletins trimestriels dans la moyenne nationale, un brevet acquis en classe européenne, j’ai raté le dernier palier pour obtenir mon fameux « passeport vers la réussite », un baccalauréat économique et social, option audiovisuelle. L’explication la plus évidente : je ne suivais pas vraiment les cours et je n’étais pas motivée pour avoir mon bac. Depuis le début du lycée, je n’avais plus envie. Les cours ne m’intéressaient plus, je me cultivais autrement, en m’intéressant aux sujets abordés en cours sur internet, sur des encyclopédies en ligne ou autres. Un lien hypertexte menant à un autre lien hypertexte, j’en savais plus qu’en apprenant simplement le plan « thèse, antithèse et synthèse » du professeur d’histoire-géographie. Évidemment, je négligeais certaines matières, celles qui ne m’intéressaient pas.

Persuadée qu’on peut y arriver sans bagages

Sur le plan de mon orientation professionnelle, j’étais complètement perdue. Un sentiment accentué par le fait de ne pas avoir de diplôme.

Que faire quand tous les copains s’en vont pour suivre des études universitaires et que mes parents et amis persistent à dire que les diplômes sont importants pour une bonne réussite sociale ? Malgré la pression familiale, j’étais persuadée qu’on peut y arriver sans ce bagage. J’ai quand même retenté de passer le baccalauréat en candidat libre, avec cette fois-ci une spécialité Littérature. Tant qu’à faire, tentons autre chose ! Raté. Encore une fois.

Je n’ai alors pas eu d’autres solutions que de trouver un emploi avec pour seule expérience du baby-sitting. J’ai dû persévérer. A 18 ans, j’ai enchaîné plusieurs contrats dans le domaine de l’hôtellerie-restauration. Je n’avais aucune ambition professionnelle à ce moment-là, car là où je travaillais, il n’y avait pas de perspective d’évolution. J’ai d’ailleurs eu pas mal de collègues avec un bac +3 en poche qui travaillaient au même poste (serveuse et femme de chambre), pour le même salaire que moi. J’ai aussi connu le chômage.

Pendant cette période, j’ai vu mes anciens camarades bacheliers abandonner leurs études à la fac ou changer de cursus d’études, car ils avaient été mal orientés.

Je me suis alors rendue à la mission locale, en quête d’une (ré)orientation professionnelle. On m’a proposé d’intégrer un chantier d’insertion : Tremplin numérique. Ce qui m’intéresse, c’est l’ouverture à un secteur, le multimédia, qui me semblait inaccessible sans avoir fait d’études supérieures. Cela a confirmé mon intérêt pour l’audiovisuel et notamment le cadrage.

À la fin du chantier, je compte chercher du travail dans ce secteur d’activité.

On peut s’épanouir sans diplôme !

Aujourd’hui, je ne ressens pas de complexes par rapport à mon parcours. Je continue à penser qu’on peut s’épanouir sans diplôme. On apprend tout autant sur le tas. Devant un employeur, je dirai que je suis autonome depuis longtemps, que j’ai acquis de l’expérience de terrain, que je porte un réel intérêt au fait d’être derrière une caméra. J’aime raconter des histoires par le biais des images. Je dois encore me battre pour imposer mes choix à mon entourage. Mais je sais que j’y arriverai. Il est de plus en plus possible de s’instruire par soi-même. Nombreux sont les exemples de réussite en France. Les temps changent et ce ne sont plus les diplômes qui priment pour accéder à un emploi, être pluridisciplinaire et autodidacte est devenu un réel atout. Et pour moi « la vocation, c’est le bonheur d’avoir pour métier sa passion » (Stendhal).

Calu, 22 ans, salariée en insertion, Maisons-Alfort

Source : http://blogzep.fr/education/je-suis-sans-diplome-et-alors/