Julien Revenu, 30 ans, est un jeune auteur de BD qui a publié son premier album de fiction, Ligne B (Casterman), en avril 2015. Laurent, son personnage principal, vit en banlieue dans un pavillon situé non loin d’une cité. Humilié par son patron, cible des reproches de sa femme, violenté par des jeunes du quartier, il va décider de tout changer… Extraits et interview de l’auteur.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur cet album ?
Julien Revenu
: Ligne B, c’est un projet qui mature depuis six ans. A l’époque je suis jeune diplômé de la Haute école des arts du Rhin qui se situe à Strasbourg. Avant de m’y installer j’avais grandi à Livry-Gargan, en région parisienne. Cet univers m’a inspiré. J’ai souhaité en parler à travers un personnage, Laurent, un homme sans histoires qui à force d’humiliations diverses va faire les mauvais choix. Suite à une agression à laquelle il ne répond pas, il est envahi par un sentiment d’impuissance et de colère. Cette boule de ressentiments retenue va devenir dévastatrice : il va en effet décider soudainement de changer de look – il se déguise en lascar – pour changer le regard des autres sur lui et tenter de maîtriser sa peur. Le début d’un engrenage qui finira mal.

Vous l’avez appelé Ligne B, une ligne de RER qui traverse notamment la Seine-Saint-Denis. La banlieue, est-ce l’un des thèmes de l’album ?
J.R.
: La banlieue, j’y ai vécue de nombreuses années. C’est un sujet proche de moi et c’est un endroit qui cristallise avec force les inégalités entre les territoires. Sur une même ligne de RER, se côtoie un grand spectre de la société. C’est un bon catalyseur pour évoquer la violence urbaine. Relater mon histoire dans ce contexte là était tout à fait logique.

Le “héros”, Laurent, se fait agresser dans le bus par des jeunes de quartier. Pensez-vous que votre album alimente la mauvaise image des banlieues ?
J.R.
: C’est de fait un album noir qui met en exergue la violence symbolique de l’exclusion et de la ghettoïsation qui génère de la violence physique qui exclut encore davantage… c’est un cercle vicieux. L’histoire se situe en 2005, année des émeutes en banlieue. Et l’un des mes constats, dix ans plus tard, c’est que rien n’a changé. Les mécanismes de violence et d’exclusion sont toujours en place. Le seul endroit où les différents milieux sociaux cohabitent, ce sont les transports en commun, théâtre de nombreuses altercations négatives qui nourrissent des préjugés des uns sur les autres. A travers le personnage du voisin de Laurent, raciste et facho, je montre aussi la médiocrité d’une certaine classe moyenne vivant dans les zones pavillonnaires de nos banlieues. Ligne B, c’est un condensé de moments vécus, que l’on m’a relatés, des témoignages de première main… Le personnage principal combine les lâchetés de tout un chacun. Puis en voulant se rebeller il va lui aussi tomber dans le cercle infernal de la violence. Il va en être sanctionné.

Craignez-vous pour autant que votre album soit mal interprété ?
J.R.
: En effet, j’ai un peu peur qu’il soit récupéré par la droite dure à des mauvaises fins ou mal interprété. Reste, il y a de la violence en banlieue et il faut en parler au lieu de la nier. En changeant de look, mon personnage subit à son tour le poids du regard de la société sur les jeunes de banlieue. Lui aussi va devenir prisonnier de ce masque. C’est cela mon sujet et j’espère que mon album permettra d’en débattre, seule solution à la frustration et à la colère qui grondent dans nos quartiers.

Propos recueillis par Anne Dhoquois