Avec « La France de demain » (éd. Wildproject, 2015), l’écrivain de polar Rachid Santaki et l’enseignant et élu de Seine-Saint-Denis Brahim Chikhi dressent un tableau sans concession de nos quartiers. Loin d’être un simple constat, leur livre se veut un manifeste pour les banlieues qui, à travers l’école, interroge notre modèle d’intégration républicaine.

Entre espoir et désespoir, Santaki et Chikhi nous parlent de la banlieue d’aujourd’hui et de ces jeunes qui seront les citoyens de demain.                   

La quatrième de couverture nous apprend que:

« La France de demain ? Elle est déjà là dans ce qu’on appelle encore parfois la périphérie, et qui est pourtant au centre de la société. Elle est là, dans cette jeunesse, ces enfants d’immigrés qui ont reçu comme seul héritage la confiance en soi de ceux qui n’ont rien à perdre ».

Le livre se termine sur une déclaration d’amour à Marianne :

« Compatriotes français de confession musulmane, juive, catholique ou athées…Dites-lui que ce que vous avez souvent eu envie de lui dire et que vous avez gardé au fond de votre cœur : Marianne, je t’aime. »

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Rachid Santaki


Entre les deux,  les auteurs listent tous les freins à l’intégration républicaine. Et ils sont nombreux :

Le consumérisme ou quand l’être se confond avec l’avoir (« quand on n’a rien, on définit spontanément la réussite par le fait d’avoir tout »).

Cette course sans fin à la consommation « car même avec l’iPhone 5 dans la poche, on ne peut s’empêcher de regarder avec envie l’iPhone 6 qui est en vitrine ». Sans gagnant car « on court pour rattraper celui qui est devant et en cherchant à distancier celui qui est derrière ». La grande perdante, c’est la République et ses lois car « si l’argent est le principal marqueur de la réussite, celui qui s’est enrichi par le deal et le vol est donc un modèle ? ».

Cette individualisme qui empêchent les jeunes des quartiers de s’unir pour faire entendre leur voix et peser politiquement.

C’est aussi l’exode banlieusard, tous ces diplômés qui quittent leur quartier (quand ce n’est pas leur pays) pour tenter leur chance ailleurs, reproduisant ainsi le schéma de leurs parents tout en privant les plus jeunes de modèles de réussite par l’école.

Le numérique, ce monde virtuel où tout va très vite, trop vite, où tout est simple comme un clic et qui fait de nos jeunes, une génération d’impatients (celle du « Tout, tout de suite »), qui n’ont pas toujours le goût de l’effort nécessaire à l’apprentissage et à la construction de soi.

Cette école qui abandonne trop souvent sa mission éducative au profit du seul enseignement, l’acquisition de connaissances au détriment de l’élévation citoyenne. Le prof qu’est Chikhi se souvient avec nostalgie de l’élève qu’il fut et de ses « maîtres » (« comme ils aimaient qu’on les appelle ») qui voyaient l’école comme un ascenseur social :

« Nos origines sociales misérables ne leur tiraient pas de larmes, au contraire : plus nous étions écrasés sous le poids de nos origines, plus ils étaient motivés pour nous lancer en orbite et rejoindre les étoiles de la réussite républicaine. »

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Brahim Chikhi


Car en « banlieue, il n’y a pas de pétrole, mais une jeunesse débordante » et compare l’école républicaine à une raffinerie capable de transformer « cette énergie primaire et spontanée » en carburant de la réussite.

L’école, c’est aussi cette « culture commune » qui lui a permis de « nouer des relations avec des hommes et des femmes qui possédaient des codes et une histoire différents de la mienne » (ce qu’on appelle le vivre-ensemble) et de « relativiser sa vie au quartier » :

« On comprend que le monde est plus vaste que la cité et ses tours, et que notre nom de famille a une histoire ancienne, qui ne se résume pas au nom affiché sur la boîte aux lettres du hall de l’immeuble de cité ».

Nos auteurs mettent leur théorie en pratique en soutenant différentes initiatives à et autour de l’école. Santaki est ainsi intervenu dans la classe de Karima Ikene, une  enseignante en histoire-géo en Saint-Denis qui a recours aux romans contemporains pour rendre accessible la littérature à ceux qui en sont le plus éloignés. Animé avec l’association MUSE D. Territoires des ateliers d « accrochage scolaire » ou « comment faire aimer l’école ?». Et crée la Dictée des cités qui a rassemblé plus de 363 participants à La Courneuve » et qui transforme cet « exercice scolaire », hantise de nombreux écoliers, en « moment de fête » :

« Cela permet de familiariser les plus jeunes à la littérature en écrivant un extrait, et également d’inscrire les classiques aux pieds des tours »

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Avec eux, l’école républicaine, égalitaire et émancipatrice,  n’a jamais aussi bien mérité son nom.

Antoine Katerji