Pour notre deuxième chronique littéraire, nous nous sommes penchés sur le dernier numéro (n°83, automne 2015) de la revue Mouvements,  « Ma cité a craqué », qui s’interroge sur les conséquences des émeutes de 2005 en termes politiques et médiatiques. Un thème qui nous intéresse particulièrement à Banlieues Créatives  en tant que média de banlieue.

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En 1997, sortait le film de Jean-François Richet «  Ma cité va crack-er ». Vingt ans plus tard, « Ma cité a craqué » pour la revue « Mouvements » qui titre ainsi son dernier numéro. Entre les deux, il y a eu « les émeutes de 2005 », terme que les rédacteurs de la revue récusent pour celui de « révoltes urbaines ». La distinction est de taille puisqu’à travers cette querelle sémantique, il est question de la portée politique de ces manifestations.

Pour Zouina Meddour, militante associative du Blanc-Mesnil, « si, dans un premier temps, la colère conduit à tout faire péter…dans un second temps, il y a eu quelque chose qui s’est réellement mis en place, un espace collectif de débat, de réflexion »

Une révolte bouillonne, brouillonne qui n’exclue pas un certain nihilisme, une pulsion autodestructrice comme se souvient Mohamed Mechmache du collectif ACLEFEU : « on a voulu montrer que ces événements soulevaient un problème politique, qu’il fallait réfléchir au fait que des gens en venaient à s’en prendre à leur propre lieu de vie, à leurs institutions. Qu’il y avait là une sorte de suicide collectif pour dire « il y en a marre » ».

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Mohamed Mechmache / ACLEFEU

Pour autant, ce n’est pas la révolte qui intéresse nos rédacteurs mais l’après-révolte et ses conséquences en termes politiques. Non pas la politique politicienne (les partis, les mairies et autre lieux de pouvoir) mais la politique comme engagement physique. Comme prise de parole. Comme volonté de se faire entendre et comme l’entend Jacques Rancière dans « La Mésentente » cité dans un texte sur un exemple de community organizing à Grenoble :

« L’activité politique est celle qui déplace un corps d’un lieu qui lui était assigné […], elle fait voir ce qui n’avait pas lieu d’être vu, fait entendre un discours là où seul le bruit avait son lieu, fait entendre comme discours ce qui n’était entendu que comme bruit »

Cette voix des quartiers, cette parole banlieusarde peut prendre différentes formes.

Celle d’une revendication comme ACLEFEU et ses cahiers inspirés des cahiers de doléances de la Révolution Française et remis à l’Assemblée Nationale. L’association s’est rendue dans les quartiers, à la rencontre des habitants, pour mettre des mots sur les maux, comprendre les causes des révoltes, les retranscrire sous forme écrite et les transmettre aux politiques qui sont, trop souvent, éloignés des réalités du terrain comme des quartiers populaires.

D’une création, à l’image de Rézus (Réseau d’énergie des zones urbaines sensibles) et leur film « Allo Marianne, bobo ». Un film qui donna lieu à des soirées-débats auxquelles assiste le sociologue Michel kokoreff. Des interventions qui assemblées, mises bout à bout, forment un « discours très cohérent » dont les «deux maîtres mots » sont « déconstruire et représenter » :

Bande annonce « Allo Marianne Bobo »

«  Déconstruire l’image de ces jeunes de banlieues qui ne sont vus que comme des dealers ou des terroristes, et aussi comme des chômeurs, c’est dénoncer le fonctionnement des médias en s’efforçant de retourner cette image, de s’en défaire, pour montrer d’autres images. Représenter, c’est faire entendre les voix des quartiers. C’est aussi pointer « la crise de représentation » : « Où sont les personnes censées nous représenter et nous défendre ». Il s’agit donc de devenir « acteurs » et « ambassadeurs ». Toutes ces phrases prises au vol en disent le sens politique. « On n’est pas là pour faire du weshwesh » ».

Déconstruire les clichés pour construire un autre discours médiatique (et politique, l’un n’allant pas sans l’autre) sur les quartiers, un média où les habitants seraient acteurs et non de simples spectateurs, c’est ce que nous faisons au quotidien à « Banlieues Créatives », en valorisant la créativité artistique, associative et entrepreneuriale de nos quartiers et en faisant participer des jeunes en insertion, dont certains sont issus de ces fameux quartiers, à l’écriture et à la réalisation des reportages.

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Un média dont le précurseur serait le « Bondy Blog », une initiative née pendant les émeutes/révoltes de 2005 et que l’on doit à un journaliste suisse du magazine « L’hebdo » qui souhaitait, à travers ce blog, raconter la vie quotidienne des habitants de Bondy. On connaît la suite, un succès immense, un blog hébergé par Libération, une émission de télévision (le Bondy Blog café), un partenariat avec l’Ecole supérieure de journalisme de Lille.

Ce blog a permis à toute une génération de faire leurs premières armes (et de se faire un nom) dans les médias. Comme Faïza Zerouala dont le texte commence ainsi :

« Je n’aurais jamais dû devenir journaliste. Trop loin de moi, trop cher, trop compliqué, trop élitiste. « Issue de la diversité » – selon l’expression politiquement consacrée – et d’un milieu ouvrier : les plateaux télés, les colonnes de journaux ou les studios de radio me paraissaient à des années-lumières de ma réalité quotidienne. Les sujets traités et les intervenants ne me ressemblaient guère. »

Faïza Zerouala.

Faïza Zerouala

Pour Zerouala, la relève du Bondy Blog, ce sont tous ces « médias indépendants » (on pense à « Quartiers XXI ») qui racontent « la banlieue de l’intérieur sur le temps long et non plus seulement en période de crise ».

Du temps, pas de clichés, un regard honnête, des journalistes issus des quartiers et de la diversité. Et si c’était ça le secret d’un bon média de banlieue ?

Antoine Katerji