En 2007, la documentariste Lorène Debaisieux réalise une série de trois films sur les femmes noires françaises diffusée à la télévision. En octobre 2014, son travail a été mis à l’honneur dans un cinéma parisien. L’occasion d’une rencontre…
Banlieues Créatives : Comment vous est venue l’idée de cette série documentaire en trois volets « Nous, Noires et Françaises » ?
Lorène Debaisieux : « Je suis partie du constat qu’il y avait un manque criant de visibilité et de représentativité des femmes noires dans les médias. De là naît l’idée du premier film « Noires beautés ». J’ai eu envie de montrer la trajectoire de femmes africaines d’un poste d’observation particulier qu’est un salon de beauté. C’est de fait un lieu où on parle de soi, de sa vie, etc. Des rencontres que j’ai faites à l’occasion de ce documentaire j’ai réalisé que ces femmes incarnaient des modèles différents : certaines se revendiquaient comme panafricaines, d’autres mettaient en avant leur double culture et l’importance de la mixité, etc. J’ai souhaité développer ces modèles dans deux autres films. Le deuxième « Noires promesses » porte sur l’immigration ; le thème s’est imposé à moi en les écoutant parler. Dans le salon de beauté il était abordé mais jamais approfondi. J’ai voulu creuser avec les mêmes personnages déjà présents dans « Noires beautés ». Je les ai suivis en France mais aussi au Mali, au Sénégal, aux Etats-Unis (l’une de ces femmes s’y rend régulièrement pour aller voir ces deux filles qui se sont installées là-bas). Enfin, le troisième film, « Noires douleurs », s’est également imposé après avoir découvert une réalité plus sombre qui est celle des mariages forcés et de l’excision. Je ne suis pas une militante même si j’ai une sensibilité par rapport à la question du droit des femmes. Mais là encore c’est une rencontre qui m’a conscientisé : j’ai été bouleversé par le témoignage sur ces sujets de l’une des femmes que j’ai rencontrée et j’ai eu envie d’en faire un film. »
B.C. : Est-ce que le fait d’être une femme blanche a posé problème pour faire ces films, recueillir les témoignages, etc. ?
L.D. : « Je suis une femme avant tout, peu importe mon origine ou ma couleur de peau. Et en tant que telle, je partage beaucoup des combats menés par ces femmes noires. Je suis dans l’empathie parce que je suis une femme. Et puis, en tant que documentariste, je travaille dans la proximité et la transparence. Avant de tourner je prends mon temps pour instaurer de la confiance. Ensuite, les femmes rencontrées me disent si elles ont envie qu’on fasse un bout de chemin ensemble ou pas. J’aime les gens, j’ai envie de mettre à l’honneur les personnes que je filme, de les transcender tout en montrant leurs paradoxes. Je leurs soumets les séquences avant de les garder ; je n’impose rien. Du coup, cela devient pour elle l’occasion d’une prise de parole. Je suis un vecteur, une passerelle. »
B.C. : Qu’est ce que ces films vous ont appris ?
L.D. : « J’ai appris des choses différentes selon les films et les sujets. Mais globalement j’ai été bouleversée par l’énergie de certaines des femmes que j’ai rencontrées. Ca force le respect. J’ai croisé la route de femmes extraordinaires à l’occasion de ces tournages. Du reste je les ai choisies pour leur révolte, leur charisme… qui peuvent donner à d’autres la force de se battre. Je précise que mes films n’ont pas l’ambition de tracer l’histoire des femmes noires en France ; j’ai avant tous mis en avant des trajectoires qui donnent à réfléchir, des témoignages de personnes qui m’ont émues et que j’ai eu envie de valoriser. »
B.C. : Avez-vous envie de donner une suite à ces films ?
L.D. : « Jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas eu l’occasion de traiter à nouveau ce sujet. Mais il se trouve que j’ai en tête un projet sur la demande de réparation des Antilles par rapport à l’esclavage. Cela dit, je suis ouverte aux propositions… Avis aux internautes s’ils ont des idées à me soumettre. »
Propos recueillis par Anne Dhoquois